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Le Blog de Papino

1 juin 2008

L'école primaire

L'école maternelle durait 4 ans. On passait ensuite en primaire et en primaire déjà, je ne sais pas pourquoi, la première année, on nous apprenait l'ancienne langue arménienne, ardue et très difficile. Il y avait un passage de la Bible dont je n’ai jamais compris le sens, l’histoire d’un figuier qui est resté dans ma mémoire même si je n’en connaissais que le début. Mais j'adorais la langue arménienne achkharapar. C'est-à-dire la langue des arméniens de l'Arménie occidentale. Nous avions d'excellents professeurs. Quelques uns des rescapés des jours tragiques de 1920-22 qui avaient fait deux ou trois ans de séminaire à Antelias au Liban et qui étaient revenus ensuite comme instituteurs.

Il y avait la vieille garde, le triumvirat, Mihran Ajémian, qui venait d'Erzeroum au fond de la grande Arménie occidentale, Missak Sisserian de Zeitoun, une ville proche de Marache, et Ardaches Donjoyenz de la maison de Sassoun. Cette vieille garde qui dirigeait l'école n'avait pas perdu ses habitudes vestimentaires. L'un d’entre eux, par exemple, gardait toujours son fes, son tarbouche rouge ottoman, sur la tête. Il se croyait encore dans son village. Ils avaient tous fait de grandes écoles pédagogiques et étaient d'une capacité extraordinaire chacun dans son domaine. Donjoyenz enseignait l'arménien, Sisserian la géographie, l'histoire générale et l’arithmétique et Ajémian l’arménien et la littérature en dernière année de diplôme. On nous forçait souvent à apprendre ou plutôt à absorber les sujets, comme le siècle de Louis XIV ou les plantations de riz dans les plaines du Pô en Italie. Je me demandais à quoi ça servait mais c'est une culture générale qui nous est restée.

Les cours en primaire duraient six ans. A l’âge de 13 ans, nous étions diplômés. Après ce diplôme, nous devions aller dans une école secondaire, généralement de langue française. Nous avions le choix entre le Lycée Français, les frères Maristes et pour les jeunes filles les écoles de Jeanne D'Arc ou les Franciscains. Il ne faut pas oublier que nous étions sous mandat français. Le lycée était un collège laïc, tandis que les autres étaient des institutions catholiques.

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1 juin 2008

L'école maternelle

Je me souviens très bien de mes premiers jours à l’école maternelle où mes sœurs m’avaient devancé. Ma grande soeur Rosine est née en 1924. Elle avait donc déjà 5 ans d’avance sur moi. Ma sœur Jeannette a vu le jour en 1928. Elles aussi fréquentaient la maison Haygazian qui avait soi-disant la primauté de l'éducation arménienne.

J'ai été présenté à Mme Dasnabedian, la directrice, une dame dont je garde un souvenir extraordinaire. Chaque fois qu’un élève arrivait, elle le recevait avec sourire et bienveillance et elle s’en occupait pendant plusieurs jours pour l'apprivoiser. Mme Dasnabedian était calme et douce. Elle ne s’énervait jamais malgré les enfants qui se mettaient à pleurer ou faisaient des difficultés. Elle était l’antipode de son mari, le directeur du collège primaire. Un homme nerveux qui fumait cigarette sur cigarette dans son bureau et qui criait souvent. Il avait sûrement vécu un passé douloureux car il avait l'âge de ces orphelins rescapés du génocide.

L’école maternelle n'avait pas de classes séparées. La grande salle au-dessus de l'église était divisée par des rideaux en 4 ou 5 espaces. On m’avait placé dans une de ces classes improvisées où j'ai eu l'occasion d'apprendre assez vite car j'écoutais aussi ce qui se passait ailleurs. C'est sûrement pour cette raison que j'ai avancé très vite dans mes connaissances. Je me lance des fleurs, mais peut-être que je les ai méritées…

1 juin 2008

La maison

Après quelques années, ma grand-mère a voulu changer de domicile et nous sommes descendus une centaine de mètres plus bas, dans la même rue, pour être plus proches des églises, notamment de l’Eglise des 40 martyrs (l’église grégorienne arménienne) et des écoles Haygazian, maternelle et primaire.

Nous avons déménagé dans une grande demeure patricienne à laquelle nous accédions par des escaliers qui donnaient sur deux portes. L’une était probablement destinée à recevoir les hommes d'affaires loin du regard des dames. L’autre, à droite, s'ouvrait sur un grand salon d’à peu près 12 mètres de long et 6 mètres de large avec un sol en marbre très spécial, d’une grande beauté. De chaque côté de ce salon, il y avait deux grandes chambres. Côté route, la première s’ouvrait sur un balcon métallique ciselé de style vénitien. On l’avait transformé en salle pour recevoir nos invités. Un grand tapis Téhéran ornait la pièce et sur le mur un tapis Beloutch sur lequel reposait un portrait de Nana Doudou. Je garde un souvenir inoubliable de son regard angélique. La seconde était la chambre de la sœur de ma mère. Archalouys, souvent penchée sur sa machine Singer, qui faisait de la haute couture pour la famille et quelques amis.

Deux autres grandes chambres se trouvaient de l’autre côté du salon. Ma grand-mère en avait transformé une en cabinet de gynécologie. Elle y recevait des patientes qui défilaient toute la matinée. Ces dames venaient de Bab el Nasser, au nord de la ville, et des quartiers environnants. Souvent celles qui avaient les moyens de venir se faire soigner chez la sage-femme étaient les épouses des grands magistrats, avocats, propriétaires terriens, ingénieurs et autres membres de la bourgeoisie musulmane de la ville d'Alep.

Mes souvenirs réels, donc vécus, commencent dans cette maison. Je n'ai pas fini la description des deux pièces restantes, parallèles au salon et donnant sur une cour intérieure ouverte où nous avions toujours quelques rosiers et des fleurs spécifiques d'Orient très parfumées. De la cour, on pouvait par un passage très large arriver à la cuisine. A droite de la cour intérieure, il y avait encore une grande pièce et la cuisine avait à peu près sans exagérer, une cinquantaine de mètres carrés. On y préparait à manger et surtout une fois par semaine, le samedi matin, une dame venait faire la lessive à la main dans de grands récipients. J’allais parfois la regarder, admirant sa capacité et sa rapidité - vu son âge – à nettoyer nos chemises sales. De la cuisine, il y avait un escalier en bois qui montait vers deux pièces et une autre cour semi-couverte. On ne se servait pas de cette partie de la maison.

Je devais avoir 4 ou 5 ans lorsqu'on a déménagé, donc vers 1934, dans cette maison de la rue Khandek où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 20 ans, date de mon départ pour Beyrouth où je suis allée faire mes études à la Faculté française de médecine.

1 juin 2008

L'installation à Alep

bab_el_faraj Ma grand-mère avec ses deux fillettes a réussi à franchir cette frontière et à arriver dans la ville d'Alep. Mais elle avait perdu son diplôme dans l'incendie de sa maison. Ce beau diplôme dont elle ne parlait jamais émerveillait ma mère qui avait 13-14 ans à l'époque par sa présentation, sa calligraphie et le titre de sage-femme diplômée de la Faculté de médecine de Constantinople inscrit en toutes lettres.

Ma grand-mère n'avait pas d'autre choix. Il fallait lutter farouchement pour obtenir à nouveau une autorisation de pratique des autorités locales, le gouvernorat de Syrie. La Syrie n'était pas encore complètement constituée. Les luttes intestines faisaient fureur. Les troupes de Faycal de Damas étaient en lutte contre les troupes d'Alep pour la suprématie.

Ma grand-mère a obtenu ce diplôme grâce à sa volonté. Après avoir passé un examen devant une commission constituée par trois médecins reconnus d'Alep, elle a obtenu une autorisation de pratique de sage-femme diplômée, entre parenthèse sage-femme diplômée de Constantinople.

Elle s'est installée au sommet de la rue Khandek. C'était une des plus grandes rues d'Alep, qui se faufilait de la porte du bonheur "Bab el Faraj" au coeur de la ville, jusqu'au sérail, c'est-à-dire, le Palais du gouvernement adossé à la grande citadelle très connue dont on parlera en détail ultérieurement. La maison était une vieille demeure médiévale, à deux étages, avec un sous-sol et sous le sous-sol un cachot.

Les maisons médiévales possédaient des cachots qui préservaient la population des invasions. Par des dédales souterrains, ils étaient reliés au vieux souk et à la citadelle. Ma grand-mère et ma mère nous disaient de ne pas descendre dans ce cachot totalement barré, car il pouvait y avoir des vipères.

Nana Doudou a installé son cabinet. Il n'y avait pas de gynécologues dans la ville d'Alep, mais seulement 3 ou 4 sages-femmes diplômées pour une ville de 400 000 habitants. En y ajoutant les villages des alentours, la région du gouvernorat d'Alep comptait une population de 600 000 habitants.

C’était un cabinet de consultation gynécologique. Elle soignait aussi les patients à la maison. Ainsi, elle faisait des accouchements à domicile et parfois elle restait un ou deux jours à attendre l'heureux événement. Elle a gagné très vite un grand succès, car la famille est devenue prospère. Le seul souvenir que je garde de cette maison ce sont des souvenirs basés sur des reconstructions. J'ai une belle petite photo où je suis assis sur un tricycle sur le trottoir devant la maison avec une fierté absolue, le front levé et le regard fixé à droite sur les commerçants qui m’admirent. L’un d’entre eux, probablement un barbier sur cette photo est en train de regarder en souriant les prouesses du petit bonhomme.

Le deuxième souvenir de cette maison, c'est un jour où on avait préparé la fameuse confiture de cerises du mois d'avril, une cerise spéciale acidulée qui devenait sous l'effet du sucre un délice absolu. Les cerises d'Alep étaient très connues mais avaient une courte période d'arrivée sur le marché. Dès qu'elles étaient là, ma maman préparait des casseroles de cette confiture qu'on mangeait tout l'hiver. Elle avait confectionné la confiture et l’avait entreposée au sous-sol pour qu’elle refroidisse. Tout à coup, une de mes soeurs, Rosine ou Jeannette, annonce qu'il y a la confiture en bas. Nous avons couru tous les trois en bas des escaliers et dans la bousculade, je suis tombé et me suis blessé à la lèvre. Un bout de peau s’est déchiré sur à peu près un centimètre. On a recollé la lèvre et la greffe a repris. Mais j'ai hérité du surnom de « trois lèvres », en turc, « Uch Dodakh ». A dix ans, j'étais tout fier. Je pensais que j'étais devenu le chef d'une tribu indienne.

1 juin 2008

La vie à Marache

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Je suis né le 25 décembre 1929 entre minuit et une heure à Alep, en Syrie. Je ne peux pas dire que c'était le Jour de Noël, parce que nous étions une famille de tradition arménienne apostolique grégorienne pratiquante.

Je suis né à la maison, dans les bras de ma grand-mère, Nana Doudou, la grande dame, la sage-femme. Ma grand-mère a eu le malheur de perdre son mari à 20 ans. Il est mort dans une chute de cheval, laissant deux orphelines: ma mère Santoukht et sa petite soeur Archalouys.

A l'époque, ils vivaient à Marache, en Cilicie, la Petite Arménie. Le patriarcat de Constantinople avait organisé des bourses pour envoyer des jeunes filles de Marache à Istanbul, à la Faculté de médecine, et les former au métier de sage-femme. Ma grand-mère, assez lettrée, a été choisie et a obtenu cette bourse. Elle a placé ses deux orphelines et est partie le coeur serré. Mais c'était pour obtenir un diplôme, avoir une profession et venir en aide à la communauté de Marache et à sa famille.

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Après avoir terminé ses études brillamment, ma grand-mère a servi comme infirmière dans un hôpital anglais installé à Constantinople pour soigner les soldats anglais blessés qui participaient à la guerre des Balkans du côté des Turcs. C'était en 1913. Au début de l'année suivante, elle est rentrée à Marache avec son diplôme de sage-femme et une médaille en or avec un certificat signé de la reine d'Angleterre. Elle n'en parlait jamais. C'est ma mère qui racontait: ces documents ont disparu dans la grande tragédie de Marache en 1920.

A ce moment-là, l'armée française a précipitamment quitté la ville après avoir promis la création d'un foyer arménien dans la Grande Cilicie. Elle s'est repliée sur Adana sans avertir ses alliés, en une nuit, sous la neige. Pour la petite histoire, les troupes françaises étaient composées de soldats sénégalais, dont la plupart on péri gelés durant l’hiver rigoureux.

La ville de Marache a été incendiée par les assaillants turcs. Plusieurs dizaines d'Arméniens ont péri, brûlés vifs. Ils avaient trouvé refuge dans des églises qui ont été arrosées de kérosène par des réguliers des troupes d'Attaturk entrés à Marache après le départ des Français.

Ma grand-mère a servi dans un mouvement de résistance dans une de ces églises et elle en gardait un souvenir. Une cartouche lui avait traversé une oreille et la moitié de son lobe manquait. Je me suis toujours demandé ce que seraient devenues les deux orphelines, si cette cartouche était passée deux centimètres plus à l'intérieur.

La maison de ma grand-mère a brûlé avec les diplômes, la médaille d'or et le certificat. (C'est surtout la grande souffrance de ma mère que tout cela était perdu. Ils se sont mis en route après une résistance farouche que notre famille avait organisée).

Les nôtres ont échappé à l'incendie en trouvant refuge dans une église où une résistance farouche s'était organisée. Sous l'égide de Setrak, un membre de la famille de mon père, des frères et soeurs de ma grand-mère ainsi que d'autres héros anonymes, les assaillants qui essayaient de brûler l'église ont pu être repoussés.

Le premier homme qui est vraiment entré dans la famille de ma grand-mère est Sarkis, de Frnouz, qui après avoir perdu toute sa famille dans les massacres et l’anéantissement de ce village situé près de Zeitoun, est arrivé à Marache et a participé activement et dignement à la résistance pour la survie de la population. Il était marié avec la sœur cadette de Néné Doudou, Araxie.

Après de durs combats, une trève a été conclue sous l'égide de missionnaires américains, mais ce n'était pas la délivrance. Entre les journées tragiques de janvier 1920 et 1922, le peuple arménien de Marache a vécu complètement asservi. Il n'osait sortir de ses quartiers, sous menace d'être attaqué à chaque instant. C'est en 1922 que leur vidange forcée a eu lieu, vidange forcée de toute la population arménienne de Cilicie ainsi que de l'Asie Mineure.

Les citoyens arméniens se sont vus retirer leur citoyenneté, barrer des registres d'Etat civil, déposséder de leurs terres et de leurs vignes et ont été obligés de quitter le pays. C'était la solution finale pour la Cilicie et la Grande Arménie d'Asie mineure. Ces populations n'avaient d'autre choix que de traverser le désert à pied ou sur des charrettes, vers la ligne de démarcation qui séparait la Syrie de notre chère Arméno-Cilicie.

Plus d'informations sur le massacre de Marache ici

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